Ce que vous ignorez sur la vie des pros en West Coast Swing
Cet article vous est proposé par Floriane, réalisatrice du podcast SwingStories. Pour en savoir plus, n'hésitez pas à aller écouter l’interview de Floriane par Westie Babies ici.
J'ai commencé à m'intéresser à la vie des professionnels de west coast swing fin 2020. A cette époque, je suis encore étudiante, passionnée depuis peu par le west coast swing et fascinée par les pros de la danse. Mais surtout, confinement oblige, je suis coincée chez moi à cause d’une pandémie intempestive. Je m'enfonce alors dans la mélancolie, ressassant le souvenir de mes dernières soirées de west coast swing.
Un jour, je décide d’arrêter de fixer le plafond de ma chambre et je lance mon podcast sur les pros en WCS. Trois ans et 14 épisodes plus tard, je vous raconte ci-dessous les péripéties de cette enquête et les principaux enseignements que j’ai tirés de ce documentaire sur la vie des pros.
Première étape : récolter la matière sonore
Mon idée de podcast en tête, je me lance. Je me perds dans les Yvelines pour acheter du matériel d'occasion, je teste différentes prises de son, j'écume les tutos podcasts de YouTube, je demande conseil à mon entourage. Puis, je commence à contacter des pros sur les réseaux sociaux. Dans un premier temps, j'essuie d'abord une absence totale de réponse. Je mets mon ego de côté, j'attends, puis je contacte à nouveau des pros, et bingo : courant janvier 2021, je reçois une première réponse positive : c'est Lena Rummel qui accepte de me rencontrer pour une interview. Dans les mois qui s'ensuivent, les choses s'enchaînent assez vite. De fil en aiguille, je me retrouve avec plusieurs rendez-vous programmés.
Leçon n°1 : Nous (amateurs et amatrices) ne savons rien de la vie de pro
J’ai tourné ma première interview en janvier 2021 avec Lena. Je me souviens encore du trac monstrueux que j’avais avant cette interview. Je n’avais strictement aucune idée de ce que ça allait donner, et pour cause : j’ignorais TOUT de la vie de pro. Je n’y connaissais RIEN. Nada. Nichts. Nothing.
Au moins, me direz-vous, j'étais consciente de mon ignorance. Avec le temps, j’ai croisé des danseurs et danseuses plus expérimentées que moi, qui, eux, pensaient savoir ce que vivent les pros. Mais c’est une illusion. Comme le disait Joëlle dans l’épisode 7 : “Il y a une frontière énorme (...), - c’est même un gouffre - entre la danse loisirs et la danse professionnelle. Ce sont deux mondes qui coexistent et qui ne savent pas grand chose l’un de l’autre.”
C'est la première leçon que j’ai apprise sur la vie de pro : on n’en connaît rien, finalement. On a beau être passionné de west coast swing, si on reste du côté loisir, on ne sait rien de la vie des professionnels.
C’est un peu comme si tu croyais savoir ce que vit un restaurateur parce que tu vas manger de temps en temps dans son restaurant - ou parce que tu cuisines des pâtisseries le weekend. Ou bien, autre analogie, c’est comme si tu pensais connaître la vie de parent parce que tu gardes tes neveux et nièces une fois par mois. Spoiler… tu ne sais pas ce que ça veut dire au quotidien 😂 (Je suis très fière de ces deux comparaisons, il m’a fallu plusieurs semaines pour les trouver.)
A mes yeux, ce fossé amateur/ pro s'explique principalement par l'enjeu que représente la danse pour un pro par rapport à ce qu’elle représente pour un amateur. Par enjeu, j’entends les risques et conséquences qui peuvent survenir via la danse.
Prenons l’exemple d’un festival : le pire qui puisses t’arriver dans le cadre d'un festival auquel tu participes en tant qu'amateur est de ne pas aimer tes danses de social, d’arriver dernier en compétition, ou de perdre l’argent du weekend, si un événement inattendu t'empêche de t’y rendre (maladie, blessure…). Soit des évènements qui peuvent effectivement affecter ta bonne humeur, mais qui ne sont a priori pas dramatiques pour toi*. En revanche, quand tu organises ton évent, ce que font un grand nombre de pros, non seulement tu sacrifies l’intégralité de ton weekend (et de semaines entières avant et après l'event) pour les consacrer à l’organisation, mais les implications peuvent être considérables. Si ton évent ne rencontre pas l’affluence prévue, tu peux perdre des dizaines de milliers d’euros (voir à ce propos le témoignage d’Olivier Harouard sur la gestion des gros festivals de danse). Nul besoin, je pense, de développer ici en quoi cela t’impacte durablement sur le plan à la fois psychologique, financier et physique.
*pour le profil lambda du westie français.
Deuxième étape : le découpage du podcast
Au début de l’année 2021, j’ai donc enchaîné les interviews, jusqu'à me retrouver avec une dizaine d'interviews à mon actif. Or, je me suis retrouvée avec une MONTAGNE de rushes*. Je ne savais pas quoi en faire, par quel bout commencer, comment structurer toute cette masse de pistes audio…
Je m’arrachais les cheveux. Une chose qui m’a causé beaucoup de maux de tête au début de l’écriture, c’est que je n’arrivais pas à avoir un tableau global de la vie de pro, pour la bonne et simple raison que chacun de ces pros me donnait une image différente de la vie de pro. Je ne savais pas comment concilier tous ces points de vue et parcours qui s'avéraient assez hétérogènes, voire, dans certains cas, franchement contradictoires. C’est ainsi que j’ai compris une chose essentielle sur la vie de pro : il n’y a pas UN type de pro universel, mais il y a plusieurs profils de pros dont le quotidien et les caractéristiques diffèrent.
Leçon n°2 : il n'y a pas UN type de pro, mais DES types de pros...
Quand j’ai commencé le podcast, ma vision des pros se résumait à deux noms : Jordan et Tatiana. Autrement dit, je n’imaginais les pros que comme des champions qui gagnent leur vie en enseignant et en faisant des démos partout dans le monde. Mais les champions comme Jordan et Tatiana ne représentent qu’une partie infime de l’ensemble des professionnels du WCS. Derrière ce terme de “pro”, on trouve ainsi une grande diversité de profils, comme Rodolphe qui a toujours enseigné localement plusieurs danses à la fois, ou Lena qui a fondé son école. Ceux qui m’ont aidé à voir beaucoup plus clair là-dessus, ce sont mes profs Bret et Joëlle, qui m'ont expliqué tout ça dans l’épisode 8.
Au fur et à mesure des interviews, mais aussi de mes expériences de danseuse, j’ai compris que tous ces types de pros alimentaient à leur façon l’écosystème de west coast swing : les profs locaux, les directeurs et directrices d’école, les juges internationaux… Pour plus de détails, il y a presque un épisode entier là-dessus, donc allez écouter Joëlle dans cet épisode.
En bref, si je résume dans un schéma ma vision des différents types de pro, en prenant comme exemple mes interviewés (et Jordan et Tatiana) :
Troisième étape : le montage du podcast
Au printemps 2022, après une pause d’un an pour me consacrer entièrement à mes études (et aussi parce que j’avais peur du résultat 😅), j'ai repris mon projet de podcast.
Armée de mes dizaines d’heures de rushes, et d'un début de fil rouge, j’ai donc commencé le montage. Et là, je me suis retrouvée un peu comme Sisyphe qui pousse son rocher sans fin sur sa colline, ou Ulysse rentrant chez lui après un long périple… et découvrant qu’il est rentré sur la mauvaise île. (Je n’ai pas résisté à piocher dans mon imagination de littéraire.)
Je découvrais l’envers du décor du podcast. Et je découvrais que la création d'un podcast ne se limite pas, de loin, à la prise de son et à l’agencement des rushes. Il faut aussi écrire la voix off, trouver des extraits d’archive, dégoter des musiques libres de droit, définir une identité visuelle, trouver une plateforme de diffusion, mixer…
En fait, je découvrais là ce que tout pro de danse découvre aussi en se lançant dans ce métier-passion : être pro de WCS, ce n’est pas que de la danse - et être artiste de façon générale, ce n’est pas que de l’art.
Leçon n°3 : la vie de pro, ce n'est pas que de la danse
Les pros de west coast ont centré leur vie sur la danse. Certes. Mais cela ne signifie pas qu’ils ne font que danser ! Si seulement c'était le cas... Mais non : les pros gèrent aussi leur marque (marketing), leurs réseaux sociaux (communication), leurs contrats (secrétariat), leur trésorerie, etc etc… La partie événementiel est particulièrement lourde pour les pros qui organisent leurs évents, comme Olivier Harouard le raconte dans l’épisode 10 à propos du WOTP.
Leçon n°4 : La vie de pro est moins glamour que tu ne le penses
Au fil des interviews, je découvrais également une réalité peu reluisante : la vie de pro est d’une ingratitude extrême. Qu’il s'agisse de santé, d’horaires, de sécurité financière, ou de vie de famille, la vie de pro nécessite une tolérance à la pénibilité hors du commun. Cela a été expliqué par d’autres bien mieux que je ne pourrais le faire ici. Je mentionnerai donc simplement 2 sources :
- La Britannique Catriona Wiles dans le podcast “The Naked Truth” expliquant que si c'était à refaire, elle ne referait pas tout ce qu’elle a fait pour le WCS. Elle raconte les anniversaires manqués, les fêtes de famille manquées, le travail permanent nuit et jour… Un témoignage qui m’a beaucoup rappelé celui de Joëlle dans l’épisode 8, ou d’Olivier Harouard dans l'épisode 11 : non pas que ces deux interviewés ne referaient pas les choix qu'ils ont fait (si c'était à refaire), mais plutôt ce constat : être pro de danse, et notamment de WCS, ce n’est pas un métier, ni une passion, “c’est un mode de vie” avec beaucoup de contraintes, voire de sacrifices.
- Un résumé très explicite proposé par la start-up Dancelib :
Lecon n°5 : Pour être (et rester) pro, il faut être (et rester) incroyablement passionné
J’ai mis 2 ans et demi à faire ce podcast. J’ai développé des capacités d’acrobate pour concilier ce projet-passion avec mes études, mes stages, puis mon premier job.
Durant ces deux années, il s’est produit un phénomène auquel je ne m’attendais pas du tout : j’ai commencé à me reconnaître dans les propos des pros que je décortiquais au montage. Je me suis reconnue dans leur description d’une forme de pénibilité quotidienne, qui disait quelque chose comme : “Je suis passionnée, je le fais par passion, et je ne vois pas les heures passer. J’aime ce que je fais. Mais parfois, c’est dur.”
De fait, j’ai enduré ce qu’endurent toutes les personnes qui se lancent dans des projets ambitieux : j’ai sacrifié mon sommeil, des journées avec mon copain, des soirées tranquilles à ne rien faire, une forme d’hygiène de vie. J’ai diminué ma dose de danse hebdomadaire pour travailler sur le podcast. Finalement, enquêter sur les pros m’a fait goûter personnellement à la réalité d’un projet-passion… qui vous demande souvent pas mal de sacrifices. Dans ce podcast, j’ai fini par parler d’eux… mais aussi un peu de moi.
En allant au bout de ce podcast, j’ai donc vécu, à ma toute petite échelle, une mini-partie des sacrifices qui se cachent derrière la vie de pro. Personnellement, j’ai décidé de m’arrêter là et de laisser de côté ma passion pour les podcasts, afin de retrouver un certain équilibre de vie (et de retourner danser !!) Cela n'a pas été une décision facile à prendre, car j’adore faire des podcasts. Cependant, je ne suis pas prête à y laisser mes plumes.
Tout cela m’a fait réaliser à quel point il faut être passionné à la folie pour continuer à faire ce que les pros font. Il faut être, et surtout rester passionné à la folie. Malgré la sueur, les courbatures, les blessures, la fatigue, l’isolement et les larmes.
C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai aujourd'hui une admiration sans borne pour les personnes qui se lancent dans des carrières-passion, et en particulier envers les danseurs et danseuses de west coast qui décident, malgré toutes ces facettes insoupçonnées, d’en faire leur mode de vie et de persister dans ce métier-passion. Car j’ai une idée un peu meilleure des plumes qu'ils et elles acceptent de perdre pour nous mettre, à nous autres amateurs et amatrices de west coast swing, des étoiles dans les yeux.