Westy Interview : Estelle Bonnaire
• 10 min de lecture
Après Maïna et Miguel, on continue notre série d’interview des personnalités du West Coast Swing avec Estelle Bonnaire.
WB : C’est maintenant un petit rituel pour commencer nos westy interviews. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur toi ?
Estelle : Salut !!!
En très bref, je commence la danse à 13 ans avec le lindy. Puis je découvre le WCS assez vite, j’apprends avec Youtube, comme tout le monde à l'époque. En parrallèle, je fais des études de socio (avec Emeline Rochefeuille d’ailleurs).
Une fois ma licence obtenue, je pars travailler dans la danse au Canada pour 2-3 ans. J’en profite pour essayer de justifier mon salaire et d’apprendre un peu plus le West Coast Swing aux Etats-Unis.
Je finis par rentrer en France (parce que j'ai trop froid). Je monte mon studio de danse à 26 ans que j'arrêterai 2-3 ans plus tard pour repartir sur les routes avec la chance d’enseigner seule ou avec pleins de partenaires différents, la passion du swing des voyages et des gens :)
WB : Tu as commencé la danse par le lindy hop, qu’est ce qui a fait que tu es tombée sous le charme du West Coast Swing ?
Estelle : A vrai dire ça s'est fait un peu tout seul (rires).
À l'époque, on n'était pas nombreux à enseigner le WCS, du coup on m’a engagée plus souvent pour cette danse que pour le Lindy. Puis à force de voyager presque tous les week-ends pour enseigner le WCS, je n’avais plus le temps d’aller danser le lindy … je n'ai pas vraiment choisi, mais je ne m’en plains absolument pas ! :)
WB : Si tu devais définir le West Coast Swing en trois mots, ça donnerait quoi ?
Estelle : Euh... techniquement : élasticité, connection, swing.
Mais plus personnellement : passion, bienveillance, authenticité.
Je sais ça fait 6 mots… mais c’est dur ta question aussi (rires)
WB : Tu as appris le West Coast Swing aux Etats-Unis et en Europe, est-ce qu’il y a une différence entre le West Coast d’Amérique du Nord et celui en Europe ?
Estelle : Ouais, et c’est ce qui fait la richesse du West Coast Swing !
Pour résumer, je dirais qu’en Europe on est un peu plus focus sur la qualité de mouvement, les connections longues, les sensations avec son partenaire.
Tandis qu'Amérique du Nord, on est plus forts en rythme, musicalité, il y a un lâcher prise, on est là “pour jouer” un peu plus.
Bien sûr, je généralise, il y a des exceptions à la règle dans les deux, un bon mix des 2 est l'idéal à mes yeux.
WB : Tu aimes beaucoup voyager et je ne te cache pas que c’est pas toujours évident de concilier voyage, danse et énergie (Pauline peut en témoigner).
Est-ce que tu aurais des astuces pour toujours être au top même avec un jet-lag ?
Estelle : Alors il faut savoir que je suis une championne de la sieste (rires) ! Je dors beaucoup dans les transports même sans être fatiguée, je pense que je me suis conditionnée à force.
L'hygiène de vie c’est important quand on met son corps à rude épreuve avec les voyages et la danse.
Boire beaucoup d’eau, manger sain et faire du sport ! bim ! (rires) Ouais je sais, je sais, c’est bateau mais tellement vrai.
WB : La pandémie nous entrave toujours dans nos déplacements et nos voyages mais ça ne nous interdit pas de rêver un peu. Est-ce qu’il y a un endroit en dehors de nos frontières que tu nous recommandes pour allier un beau voyage et un bel évent de West Coast Swing ?
Estelle : Sans hésiter : La Californie! (rires) indice : WEST COAST ;)
Parmi mes évents préférés en Californie, il y a :
- Boogie by the bay, San francisco, CA
- Swingtacular, San Francisco, CA
- Jack n Jill O rama, Irvine, CA
- The After Party, irvine, CA
- US Open, Burbank, CA
Mais il y a aussi Seattle pour Easter Swing, New York avec Liberty Swing, Washington avec Madjam … il y en a tellement :)
J’ai entendu dire aussi que l’Australie et Singapour ont une super communauté mais je n’y suis pas encore allée.
WB : On peut dire que les voyages sont ton quotidien, être juge dans les compétitions aussi. Qu’est ce qui t’a motivé de passer de danseuse à juge ?
Estelle : Je suis danseuse passionnée avant la professionnelle hein ;)
Mais j’aime énormément juger c’est vrai, ça me fascine. Je suis accro à l'analyse de cette danse, j’ai pu voir pas mal de styles et d'interprétations différentes du WCS, au fil des années aussi, c’est hyper cool.
Je pense que l’on m’a fait confiance d’abord aux Etats Unis, pour juger, je crois qu’ils voulaient un oeil “frais et neutre”. Beaucoup de juges étant soit coachs ou profs de beaucoup de compétiteurs, j'imagine que l’option de pouvoir avoir un juge “oversea” (venant d'ailleurs) qui ne connaît pas nécessairement tout le monde c’était intéressant. J’ai également la réputation d'être rigoureuse et d’être très calme, des qualités qui aident pour juger.
Puis avec l'expérience, et de la constance, j'ai continué même en Europe au retour du Canada.
WB : Tu es de plus en plus souvent chef juge (CJ), est-ce que tu peux nous expliquer un peu plus la différence entre un chef juge et un simple juge dans une compétition ?
Estelle : Ah oui en effet c’est pas tout à fait la même chose. Le CJ s’assure de l'intégrité des compétitions en se référant aux règles du WSDC (World Swing Dance Council).
1) Avant les compétitions, le CJ doit gérer l'équipe de Juges, être sur que le planning fonctionne, en fonction des contrats de chacun et de leur dispos, voir s' il n y a pas de conflits d'intérêts etc …
Sans oublier le meeting avec l’event directeur pour savoir quel format il souhaite pour les finales, le meeting avec le DJ pour lui dire quel type de musique souhaité pour les finales et le nombre de personnes en finale et le format choisit (le nombre de musiques qu’il choisira dépend de ça), et parfois un Juge meeting, notamment pour répondre aux questions et donner quelques directives.
2) Pendant les compétitions, le CJ doit vérifier que tout le monde est sur la piste, que les listes de jugement coïncident. Il doit aussi communiquer avec le MC (Maître de Cérémonie) pour lancer la compétition et pour rappeler les personnes manquantes. C'est à lui également de juger et donner un score à TOUS les compétiteurs, Leaders et Followers car en cas d'égalité, c'est ce score qui les départagera.
Ensuite, il va voir si tous les juges ont fini à la 3ème musique où s'il faut continuer la 3ème musique voir même lancer une 4ème pour terminer le scoring. C'est lui qui indique au DJ que les juges ont fini afin d'arrêter la musique.
3) Après les compétitions, le CJ doit vérifier au plus vite avant la sortie de piste que tous les juges ont le bon nombres de Callbacks (les personnes sélectionnées pour le prochain tour) et Alternates (les remplaçants). Puis il doit voir avec le Scorer (personne chargée d'établir les classements) dans une pièce à part pour vérifier le natural cut*, ou les relative placements* à la fin. Enfin il doit signer et attester qu’il n’y a pas d’erreur, c’est son entière responsabilité.
(*) : Si vous souhaitez en savoir plus sur le natural cut et les relative placements, on vous redirige vers le site WSDC car c'est un sujet à eux tout seul.
WB : On peut tout t’avouer, on galère un peu à sortir du niveau Novice. Est-ce que tu aurais pas une petite astuce à nous donner pour les leaders et les followers afin de passer les sélections en compétition ?
Estelle : Un bon Novice c’est quelqu’un qui a déjà le niveau Inter :)
Le nerf de la guerre, c’est d’avoir évidement du rythme, une bonne structure de musique et une identité/un personnage.
Le juge n’a pas besoin d’aimer le personnage pour bien le juger, mais il s’agit de montrer des émotions, un style, un petit truc en plus qui fait que c’est toi, là, sur la piste, de la manière la plus authentique et sincère possible.
WB : Tu as été la première All-Star en France, quel a été ton parcours de danseuse pour arriver jusque là ?
Estelle : J’ai pris mon temps à vrai dire, et j’ai fait quelques évents par ci par là car je voulais surtout danser et apprendre.
J’ai dû commencer la compèt' vers 2010-2011, ça commence à dater (rires). Le fait de travailler au Canada c'était plus facile pour moi d’aller faire des événements aux Etats-Unis (y’en avait quasi pas en Europe), j’en faisais 1 tous les 2 mois ou presque (c’est un budget quand même rires).
Quand je suis revenue en France, il n’y avait pas encore assez de compétiteurs pour une catégorie All-Star mais ça m'allait bien de danser avec les copains en Advanced. Il le fallait parce que c'était compliqué d'avoir les 5 couples minimum pour respecter la règle WSDC afin d'avoir les points.
En fin de compte, être la 1ère All-Star ca ne veut pas dire grand chose, c'est circonstanciel, au bon endroit au bon moment. Ce que je retiens surtout c’est la chance d’avoir été témoin et d'avoir fait partie de la naissance et l'évolution des compétitions WSDC en Europe.
WB : Lorsque l’on te regarde danser, on a l’impression qu’il y a toujours une certaine grâce et un style très moderne et épuré. Est-ce que cela reflète ta personnalité ?
Estelle : Ah merci c’est gentil :)
Oui je pense, en soi je suis quelqu’un de très calme, posée et assez simple. J’essaye d'être subtile dans mes interprétations, et de faire des blagues (ça marche pas toujours rires).
En gros, j’aime les gens, l'échange, le partage et la féminité. Le WCS c’est assez idéal pour ça.
WB : C’est très difficile de trouver son style dans la danse. Comment arrive-t-on à affirmer son style ou tout simplement à le trouver ?
Estelle : Ah j’adore cette question et on me la pose souvent. J’ai un exo que j’aime bien faire aux élèves. Je leur demande de réfléchir et d'écrire sur leur frigo 3 choses :
1) Un adjectif qui les définit ( fun, timide, patient, calme, excité, explosif, …)
2) Ce que leurs proches pensent d’eux ( bienveillant, à l'écoute, toujours à fond, discret, intro ou extraverti, impulsif, doux, réfléchi etc…)
3) Une influence de genre qu’ils préfèrent : hip hop, contemporain, lyrique, swing et en fonction de ça trouver comment faire d’un mouvement simple un mouvement imprégné de l’influence de genre qu’ils aiment le plus.
Parfois, pour aller plus loin : aller chercher des “pro” sur youtube qu’on aime bien, qui match notre genre ou nos adjectifs pour se laisser inspirer. C’est un bon début quand on ne sait pas par où commencer.
Et pourquoi sur le frigo ? Parce qu’il faut se le rabâcher un peu. Parfois on s’oublie à vouloir tout faire parfaitement tout le temps, alors que le but de cette danse c’est l’authenticité : être soi-même.
WB : Est-ce que tu as un moment marquant à nous partager ?
Estelle : Un cours avec Deborah Szekely à Boogie By the Bay.
Pour l’anecdote, ça fait deja un petit moment que j’enseignais, et j'avais monté mon petit studio de danse à Montpellier. Puis j’ai décidé d'arrêter parce que j’avais trop soif de voyages, et j'étais un peu burn out de “juste” enseigner, pour tenir mon business.
Du coup, je décide de fermer mon studio et de re-voyager. Je vais donc à Boogie à San Francisco (parce que c'est secrètement ma ville préférée dans le monde) et là, y’a un cours All-Star. Je kiffe parce que je ne connais PERSONNE dans le cours, je découvre des tas de talents, demande des prénoms... Les gens hypers ouverts et accueillants, en bref, tout ce que j’aime dans la danse.
Puis Deborah, pour son intro de cours demande “Okay, alors pourquoi vous êtes là?” puis elle désigne tour à tour des gens, qui donnent diverses réponses “Parce que je veux progresser ?”, elle : “ Non”. Quelqu'un d’autre “Parce que je veux être meilleur prof ?” elle : “Non” et ça continue…
Moi paniquée complet car je trouvais qu’il s'agissait de réponses totalement valides. Puis elle est arrivée à moi : “Toi ! La petite blonde qu’on connait pas, t’es là pourquoi ?". L’angoisse monte, mon esprit se vide, j'essaye de faire une blagounette avec mon bel accent français : “Because I love the dance” et BINGO ! (rires) C'était un peu ce qu’elle cherchait, ouf, la sueur froide, elle a surenchéri en disant “If you don’t love the dance you will not improve, you will not make it, and you will give up” (Si vous n'aimez pas la danse vous ne pourrez pas vous améliorer, vous n'y arriverez pas et vous abandonnerez).
Au delà de l’anecdote, où j'ai eu de la chance, il restait pas tellement d’option de réponses. Et entre nous, j’ai bluffé haha, ça a quand même était une révélation pour moi, j’ai compris avec ce cours qu’il fallait que je trouve l'équilibre pour nourrir la danseuse et la professionnelle. Faire mon job avec sérieux et ne pas oublier de lâcher prise sur la piste et de nourrir cette passionnée de danse, ça m'a littéralement changé la vie.
WB : Y-a-t-il une ou plusieurs danseuses qui t'inspirent ?
Estelle : Torri Zzaoui et Brandi Guild et... Angélique Pernotte (la meilleure danseuse d’Europe selon moi).
Chez les leaders : Ben Morris, Sean Mckeever, Chris Dumond.
WB : Après cette interview je suis sûr que nos lecteurs auront envie de te retrouver en évent, où pourra-t-on te retrouver prochainement ?
Estelle : Alors je serais au Budafest, Avignon City Swing, Paris Swing Classic, French Connection, WOTP et puis si tout va bien avec mon visa, pas mal d'événements aux States :)
WB : Un dernier mot à nous dire ?
Estelle : MOT … (rires) j’avais dit que j’etais pas toujours drôle!
Plus sérieusement, je sais que la pandémie c'était difficile. Pour certains ça a changé des choses pour un bon nombre de raisons légitimes. Mais, pour moi, le WCS c’est plus qu’une danse, c’est une communauté, alors pas de regrets si certains s’en vont pour d’autres aventures mais ceux qui restent ou reviennent n’oublions pas de faire les choses en toute conscience des autres : bienveillance, échange, partage, consentement et inclusion :)
WB : Merci beaucoup Estelle d'avoir répondu à nos questions, on se retrouvera avec plaisir sur les pistes de danses !
Estelle : Merci d’avoir pensé à moi :) C'était sympa de partager tout ça, à très vite ! Des bisous !