La division Champion a-t-elle toujours un sens ?(Récap du Wine Coast Swing du 21.09.2024)
Il y a quelques jours, je préparais tranquillement mon dîner quand je suis tombée sur une vidéo pépite. Il s’agissait d’un “Wine Coast Swing”, une discussion ouverte animée par les champions américains Brandi Guild et Robert Roston. J’ai lancé la lecture de la vidéo et bu les paroles de ce live pendant 1h30. C’était lumineux, stimulant et controversé. Ni une, ni deux, j’ai décidé de vous en faire un article récapitulatif sur Westies Babies, en me concentrant sur la première question abordée par Brandi et Robert Royston dans le live : la division Champion fait-elle toujours du sens ?
Avertissement 1 : cet article est en grande partie construit sur les opinions de Brandi et Robert dans le live. Pour avoir le contenu à la source, rendez-vous ici.
Avertissement 2 : Si vous êtes novices en compétition de west coast swing, je vous conseille fortement de faire d’abord un tour sur l'article qui en explique le fonctionnement.
En résumé pour les flemmards
Voici les 5 points que je retiens de ce live au sujet de la division Champion :
- La division Champion n’est pas une division comme les autres.
- Le niveau en WCS dépend de la durée de ton apprentissage… Jusqu’à un certain point.
- Champion = ne pas cocher UNE case de pro (gagner des JnJ), mais PLUSIEURS de la liste suivante : titres en Classic/ Showcase, judging et enseignement unanimement reconnu.
- Persistance d’un flou artistique sur ce que veut dire “PLUSIEURS”, possiblement liée au fait qu’on rationalise quelque chose somme toute d’assez évident : il y a des champions “hors catégorie”.
- Ce qui est en jeu : la qualité de nos pros, l’intégrité de notre danse, la qualité de notre socle commun et donc notre capacité à tous à communiquer ensemble en WCS.
Petit retour en arrière : la création de la division Champion
Avant de plonger au cœur de la problématique qui occupe Robert et Brandi, petit retour sur la façon dont la division Champion a été créée. Cela peut nous sembler étrange, à nous autres westies récemment arrivés dans le milieu, mais les divisions n’ont pas toujours été ce qu’elles sont. Elles ne sont pas gravées dans le marbre comme le timing du push. Elles ont été créées au fil de l’eau, au fur et à mesure que la communauté de WCS se développait (en nombre de danseurs/ danseuses, en niveau, et en nombre de professionnels à plein temps). Au début, il n'y avait que deux divisions (novice, intermediate), puis la catégorie Advanced a été ajoutée, avant que ne soit finalement créée la catégorie All-Star.
Dans un même temps, nous explique Robert, la division Champions a été conçue en parallèle aux JnJ “classiques”. C’est l’event de Phoenix qui aurait, le premier, créé un JnJ Champion en 1990. Le Capitole City Swing lui aurait emboîté le pas par la suite en répliquant le même modèle de JnJ Champion.
Les critères alors en vigueur pour autoriser les participants à concourir en champion étaient les suivants :
- Avoir gagné un ou plusieurs titres majeurs en Classic/ Showcase ;
- Être reconnu pour la haute qualité de son enseignement ;
- Avoir gagné des JnJ/ strictly contre les meilleurs compétiteurs et compétitrices du circuit.
En plus de cocher plus ou moins ces critères, il fallait être invité à concourir en Champion. Il s’agissait donc d’un accès privilégié, restrictif et surtout non-automatique à la catégorie.
Et la catégorie Invitational, dans tout ça ?
D’après Robert, la catégorie Invitational a été utilisée par les organisateurs comme une déclinaison plus flexible de la catégorie Champion, qui permettait à la direction de l’event de mettre à l’honneur le staff de l’événement, mais aussi des personnalités locales, ou “guest stars” du weekend, n’étant pas systématiquement autorisées à concourir en Champion. La catégorie Invitational était donc moins restrictive que la catégorie Champion, tout en ayant en commun avec elle d’être une division “avec accès V.I.P.” Que ce soit en Champion ou en Invitational, les personnes qui y participaient devaient attendre un feu vert, un geste qui ne dépendait pas strictement d’elles, ni de leurs points en JnJ, pour y être conviées. (Ce point est capital pour la suite.)
Cela nous amène à deux observations qui ont toute leur importance pour comprendre les débats actuels.
- Historiquement, on ne concourait pas en champion parce qu’on avait gagné des points dans la division du dessous : on y concourait parce qu’on y était convié. Et on y était convié parce qu’on cochait les cases du Champion avec un grand C : avoir fait un top 5 US Open/ Classic, gagné des JnJ/ strictly dans les plus hauts niveaux de compétition et être unanimement reconnu pour l’excellence de sa pédagogie et de ses jugements.
- Toujours selon Robert et Brandi : la catégorie All-Star était une sorte de division d’entre-deux pour les meilleurs danseurs/ danseuses qui ne concouraient pas en Champion. Elle servait à donner un espace à celles et ceux qui étaient trop bons pour rester en Advanced, mais pas assez bons/ complets pour concourir en Champion. Pour cette raison, la catégorie All-Star a longtemps été sans points : elle n’avait pas pour but de déboucher sur Champion.
“Champion”, une catégorie mouvante : l’apparition de nouvelles règles
Dans les dernières années, le World Swing Dance Council (WSDC) a décidé de modifier les règles permettant de concourir en Champion.
Pour résumer les modifications apportées par le WSDC :
- En 2020, le WSDC a établi pour la première fois la règle des 150 points en All-Star (= était autorisée à concourir en Champion toute personne ayant gagné plus de 150 points en All-Star). A cette époque, il y avait encore une flexibilité dans l’application et la déclinaison de cette règle.
- En mai 2024, le WSDC a imposé une règle stricte des 150 points, interdisant de facto, sauf dérogation officielle, à toute personne n’ayant pas 150 points All-Star de concourir en Champion, et imposant à toute personne ayant plus de 225 points en All-Star de concourir en Champion.
Pourquoi, me direz-vous, s’agit-il d’une petite révolution ? Eh bien parce qu’avant, on entrait sur invitation en Champion, tandis qu’aujourd’hui, on y entre parce qu’on a obtenu 150 points en JnJ. L’accès n’est donc plus spécifique, non-automatique et privilégié comme c’était le cas historiquement. Au contraire : on y entre automatiquement après avoir gagné plus de 225 points All-Star. La barrière à l’entrée est une barrière de points… Exactement comme pour les autres divisions.
Quand bien même c’est le cas, qu’est-ce que cela change, me direz-vous ? Le hic, d’après Robert et Brandi, c’est que la catégorie Champions n’a justement pas été pensée comme une catégorie comme les autres. Le hic, c’est qu’il y a Champion… et Champion.
La catégorie Champion, une catégorie pas comme les autres
En fait, pour bien comprendre le problème, il faut relire attentivement le communiqué presse du WSDC. Les 2 premiers paragraphes devraient nous alerter. “What makes a “Champion” west coast swing dancer?” nous dit le WSDC. “Dance ability, technical knowledge, showmanship, community leadership, teaching, transformative routines, legacy”
Puis, le WSDC ajoute : “Although it is far from the only measure of a champion, dancing in the WSDC Champions Jack & Jill Division is also an important and visible way of establishing "Champion" status in our community.”
Mesdames et Messieurs, c’est là, au cœur de ce paragraphe, que réside le cœur du débat. Tout est dans la polysémie du mot “champion”. Dans la première phrase du communiqué, la division Champion est une division de “champions”, dans la mesure où elle rassemble des personnes qui ont réuni les compétences multiples qui font d’un champion un vrai champion (et on peut le voir, la liste est longue). Dans la deuxième phrase du paragraphe, la division Champion est une division de “champions”, dans la mesure où elle rassemble des personnes qui ont gagné + 150 points en All-Star.
Si je reformule autrement, il y a “champion” et “champion”. Dans un cas, il s’agit simplement de gagner des points ; dans l’autre, il s’agit d’être reconnu comme un modèle de la communauté, une personnalité garante des fondations du west coast swing, ayant fait ses preuves dans les compétitions les plus prestigieuses (type US Open, pour ne pas le nommer) et dont la capacité à développer au mieux les prochaines générations à travers son enseignement est unanimement saluée.
C’est ce que je trouve fascinant dans le deuxième paragraphe : dans une même phrase, le WSDC utilise les deux significations du mot. De quoi être confus !
Le point de vue de Brandi et de Robert
Le point de Brandi et de Robert sur la question est assez clair et se résume en quatre points :
- Il y a effectivement “Champion”, et “Champion”, : d’un côté, une définition “historique” du Champion ; de l’autre, une la définition “récente” de la catégorie de JnJ. (Voir ci-dessus.)
- Ces deux types distincts de “Champions” ne relèvent pas de la même catégorie de niveau et d’expérience. Pour Brandi, actuellement, il y a le même écart de niveau sur toute la division Champion qu'entre Novice et Advanced. Pour Robert, c'est comme si on mettait dans le même panier une personne médaillée aux JO et une personne qualifiée pour les JO.
- Ces deux types de “Champions” ne sont pas également légitimes à concourir en Champion. Pour eux, les Champions “historiques” ont bâti leur légitimité sur des décennies d’expérience, des milliers de dollars investis dans leur formation, des titres majeurs, etc, etc.
- Par conséquent, ils ne devraient pas concourir dans la même catégorie, sous peine de porter préjudice à la communauté de WCS. Comme Brandi l’explique dans le live, mélanger les deux définitions de Champion dans une même division de JnJ est dommageable à plusieurs niveaux. C’est ce qu’on va voir dans la dernière partie de cet article.
Pourquoi est-ce que tout cela est loin d’être anecdotique
Dans le live du Wine Coast Swing, un membre du public a posé la question suivante à Brandi et à Robert : dans le fond, pourquoi est-ce qu’on en parle ? Quelles conséquences est-ce que ça a, ce changement de règles pour la division Champion ? Pourquoi est-ce si important ? Réponse immédiate de Brandi, que je résume ici : c’est essentiel et absolument crucial, non seulement pour la majorité des pros, mais aussi pour l’ensemble de la communauté de West Coast Swing.
- C’est crucial pour des raisons marketing. D’après Brandi et Robert, le fait de concourir en division Champion est déterminant pour la réputation/ visibilité, la reconnaissance et donc les contrats qui en découlent. Cela rejoint des aspects que j’ai déjà abordés dans mon podcast à de nombreuses reprises. Pour reprendre l’image de Robert dans le live : c’est comme si on donnait le même diplôme/ titre/ grade à des cursus de cinq ans et à des cursus accélérés d’un an. Cela crée la confusion dans l’esprit du westie consommateur. Et cela peut impacter profondément les dynamiques d’offre et de demande dans la communauté.
- La conséquence de cela, c’est que cela fait courir le risque d’altérer la qualité des enseignements en WCS. Réserver le statut de Champion à des professionnels suqualifiés, sursélectionnés et ayant fait leurs preuves dans plusieurs domaines (pas seulement les JnJ) garantit une diffusion optimale des fondamentaux de WCS. Par l’investissement qu’ils ont réalisé dans leur pédagogie, dans l’histoire du west coast swing, dans une culture générale des autres danses également, les Champions “historiques” sont les plus désignés pour endosser le rôle de modèles/ boussoles dans la communauté. Parce qu’ils ont dédié leur vie entière à la danse, parce qu’ils ont investi dans leurs routines “sweat, tears and money” (dixit Brandi), et parce qu’ils ont dépensé des dizaines de milliers d’euros pour se former (dixit Brandi également), ils sont les mieux placés pour transmettre ce socle de connaissance.
Quelles sont les pistes pour clarifier ce problème ?
Pour Robert, le problème est simple : un même terme (“champion”) est utilisé pour désigner deux choses différentes. A ce problème simple répond une solution simple : utiliser pour deux choses différents deux termes différents. Il suggère ainsi de renommer les Champions “historiques” en “premiere league” (comme en foot?), dans le but d’inclure dans l’appellation elle-même le fait qu’il ne s’agisse pas uniquement de gagnants en JnJ, mais également de champions parmi les champions.
Pour ma part, je ne suis pas entièrement convaincue par la proposition lexicale de Robert. Même si l’expression “premiere league” traduit bien cette idée de “champions de première catégorie”, à mon sens elle ne traduit pas clairement cette idée de “champions hors catégorie jouant le rôle de boussole dans une discipline”. Après discussion avec des proches, le recours à un titre de “grand maître international ” (ou autre appellation similaire) comme c’est l’usage dans les échecs me semble plus pertinent pour retranscrire cette dimension. D’après la page Wikipedia dédiée, “le titre grand maître est le plus élevé qu’un joueur puisse obtenir. Une fois atteint, le titre est obtenu à vie.” Pour obtenir un titre, il faut une combinaison entre un nombre déterminé de points (un peu comme nos points en JnJ) et, “avoir fait preuve de compétences suffisantes dans une compétition cotée”. Pour ses caractéristiques de non-péremption, de combinaison points/ compétences variées et pour sa capacité à reconnaître la contribution passée, présente et future du champion à la discipline, ce type de titre me semble une piste intéressante à creuser en west coast swing.
En conclusion : pourquoi ce sujet fait-il tellement débat ?
En écrivant cet article, je me suis demandé pourquoi ce débat était si animé dans la communauté. J’y vois plusieurs raisons.
1 - Des raisons économiques/ de marché. Comme l’expliquait Brandi dans le live, ce sujet qui nous semble anodin, pour nous qui pratiquons un west coast récréatif, ne l’est pas du tout pour les pros qui voient dans ces appellations des influences décisives dans l’attribution (ou non) de leurs contrats et prestations diverses. Pour faire un parallèle concret, c’est un peu comme si des diplômés de psychologie étaient rangés dans la même catégorie que des personnes auto-certifiées en quelques mois. On voit les dérives que ça peut encourager.
2 - Des raisons psychiques. Parfois, il peut être dur (et je suis la première concernée) d’admettre qu’il y a des gens qui seront toujours meilleurs que soi. En particulier quand on a l’habitude de se comparer aux autres et de chercher une validation à travers nos performances compétitives, il peut être douloureux pour notre ego d’admettre que nous avons tous une catégorie plafond, et que cette catégorie ne sera jamais la meilleure.
3 - Des raisons idéologiques/ philosophiques. Les propos de Robert et Brandi s’inscrivent dans une culture très américaine du “que le meilleur gagne”, où prédomine une forme de cruauté (tu perds, tu perds, pas de dérogation). Un Champion qui régresse doit redescendre en All-Star, soutenait même Robert. Il n’y a pas de prise en compte de l’âge, de la position géographique, du genre… Les Champions, ce sont les meilleurs, point barre. Celles et ceux qui ne sont pas au niveau n’ont pas leur place.
En même temps, le discours de Robert et de Brandi est ambigu, voire contradictoire. Ils s’appuient tantôt sur une idée de compétition stricte où les points périment (“celui/ celle qui a gagné l’US Open”, “celui/ celle qui bat les champions en JnJ”), tantôt sur des critères de statut beaucoup plus difficiles à objectiver et non-périssables (“celui/ celle qui a investi dans sa formation, qui a travaillé sa pédagogie”).
On pourrait expliquer ce flou artistique par le fait qu’au fond, Brandi et Robert tentent de rationaliser a posteriori quelque chose de tout à fait évident aux yeux de tous : il y a des champions parmi les champions. Il y a des champions “hors catégorie”, qui survolent les divisions (on pense à un Thibault Ramirez, un Jakub, ou plus récemment à une Mélodie Paletta) et qui ont tellement fait leurs preuves de façon incontestable que personne ne peut douter qu’ils aient leur place en Champion, quand bien même ces “ preuves” ne sont pas 100% quantifiables et ne se limitent pas aux victoires en JnJ. C’est ce qui ressort quand Brandi dit : “You should not have to crawl into champion. You have to fly.” Autrement dit : le titre de champion ne devrait être décerné qu’à celles et ceux qui n’ont tellement plus rien à faire en All-Star qu’il devient manifeste aux yeux de tout le monde qu’ils et elles doivent aller en champion.
4 - Enfin, et c’est aussi une conséquence du point 3, ce débat ouvre de nombreuses questions sans les résoudre : à partir de combien de “piliers”, de “cases” cochées peut-on accéder au titre de Champion au sens “grand maître” ? Par exemple, à partir de combien de victoires en top 5 à l’US Open coche-t-on la case “titre majeur” ? Un seul, ou plusieurs ? Est-on Champion si l’on remplit les exigences d’un seul pilier (le pilier “victoires US Open”, par exemple) mais pas les autres ? (pilier “enseignement”, “judging”...) D’ailleurs, comment mesurer et évaluer les piliers “enseignements” et “judging” ? Finalement, la question qui se pose est celle de rendre acceptable et légitime de décerner un titre difficile à factualiser sur des critères objectifs. Le débat reste ouvert…
Ce que j’ai appris en faisant cet article
Ce que je retiens de tout ça, c’est que, contrairement à ce que je pensais, le sens et les règles qui entourent la division Champion n’ont rien de clair. Le WSDC a tenté récemment de les clarifier, avec selon moi des effets inverses à l’objectif recherché : personne n’y comprend plus rien. Il a fallu que j’écrive un article sur Westie Babies pour y voir plus clair…! 😅 A mon avis, cela vient du fait que nous n’avons pas encore trouvé notre titre de “grand maître international” en west coast swing comme aux échecs.
Par ailleurs, me pencher sur ces questions m’a permis de retrouver des notions et idées que j’avais explorées dans mon podcast : les spécificités de chaque type de pro, la multiplicité des compétences requises par la vie de pro, l’importance de la variable “géographique/ déplacement” pour différencier les pros… J’ai eu un grand plaisir à me replonger dans ces sujets.
J’ai trouvé que toute cette discussion sur le statut de champion nous forçait à l’humilité, qu’on soit pratiquant “pro” ou pratiquant “loisir”, car cela nous amène à réfléchir à nos limites et à ce qu’on n’atteindra jamais.
Enfin, j’ai trouvé des prémices de réflexion à des sujets complexes : comme les enjeux liés à transmission d’un socle commun, à la construction d’un vocabulaire partagé… Mais ça, c’est un article à part entière. 😇